Premiers heurts à Dakar : les manifestants s’opposent au report de la présidentielle
Des affrontements ont éclaté dimanche à Dakar, où les forces de gendarmerie sénégalaises ont utilisé du gaz lacrymogène pour disperser des centaines de manifestants opposés au report de l’élection présidentielle, ont rapporté les journalistes de l’AFP sur place.
Des hommes et des femmes de tous âges, brandissant des drapeaux sénégalais et portant des maillots de l’équipe nationale de football, se sont rassemblés dans l’après-midi près d’un rond-point situé sur l’un des principaux axes routiers de la capitale, en réponse à l’appel de plusieurs candidats.
Les forces de gendarmerie, déployées en grand nombre, ont répondu en lançant des gaz lacrymogènes pour disperser les manifestants. Elles ont ensuite poursuivi les fuyards à pied ou en véhicule, essuyant de nombreux jets de pierres en cours de route.
Certains jeunes ont érigé des barricades improvisées en scandant des slogans contre le président Macky Sall qu’ils qualifient de dictateur.
Daouda Ndiaye, l’un des candidats à la présidentielle, a déclaré sur les réseaux sociaux qu’il avait été victime de violences policières et que certains de ses collaborateurs avaient été arrêtés.
Ces heurts sont les premiers à survenir depuis l’annonce, samedi, du report de l’élection présidentielle prévue initialement le 25 février.
« Nous sommes descendus dans la rue pour dire non à cette injustice, non à ce coup d’État constitutionnel », a déclaré Demba Ba, l’un des manifestants interrogés par l’AFP.
Le report de l’élection a suscité une vague d’indignation et des craintes de troubles dans ce pays considéré comme un havre de stabilité en Afrique de l’Ouest, mais qui a connu des périodes de violence depuis 2012.
La décision du président Sall a également suscité des inquiétudes à l’étranger. Plusieurs candidats de l’opposition ont annoncé leur intention d’ignorer la décision du président et de maintenir le lancement de leur campagne électorale le dimanche.
L’Union européenne et la France, qui sont des partenaires importants du Sénégal, ont exprimé leur préoccupation face au report de l’élection et ont appelé à la tenue rapide d’un scrutin.
Les États-Unis et la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), dont le Sénégal est membre, se sont également déclarés inquiets et ont demandé aux autorités de fixer rapidement une nouvelle date pour l’élection.
Le président Sall a annoncé samedi, quelques heures avant l’ouverture officielle de la campagne électorale, qu’il abrogeait le décret convoquant le corps électoral le 25 février.
C’est la première fois depuis 1963 qu’une élection présidentielle au suffrage universel direct est reportée au Sénégal, un pays qui n’a jamais connu de coup d’État, ce qui est rare sur le continent africain.
Le président Sall a invoqué le conflit entre le Conseil constitutionnel et l’Assemblée nationale autour de la validation de vingt candidatures et l’élimination de plusieurs dizaines d’autres.
Les députés doivent se réunir lundi pour examiner une proposition de loi visant à reporter l’élection présidentielle de six mois, selon des sources parlementaires. Le texte devra être approuvé par une majorité des trois cinquièmes des 165 députés pour être validé.
Ce débat s’annonce comme un moment clé de la crise politique actuelle et il est loin d’être certain que le texte soit adopté.
À l’initiative de Karim Wade, un candidat recalé qui a remis en question l’intégrité de deux juges constitutionnels et réclamé le report de l’élection, l’Assemblée avait approuvé la semaine dernière la création d’une commission d’enquête sur les conditions de validation des candidatures.
Contrairement à ce qui était attendu, des députés du camp présidentiel ont soutenu cette démarche, provoquant une vive querelle sur la séparation des pouvoirs et alimentant les soupçons d’un complot visant à reporter l’élection pour éviter une défaite. Le candidat du camp présidentiel, le Premier ministre Amadou Ba, est contesté au sein même de son parti et fait face à des dissidents.
En revanche, le candidat anti-système Bassirou Diomaye Faye, dont la candidature a été validée par le Conseil constitutionnel malgré son emprisonnement depuis 2023, s’est imposé ces dernières semaines comme un candidat crédible à la victoire, une situation cauchemardesque pour le camp présidentiel.
Selon le code électoral, un décret fixant la date d’une nouvelle élection présidentielle doit être publié au plus tard 80 jours avant le scrutin, ce qui reporterait l’élection à fin avril dans le meilleur des cas.
Le président Sall risque donc de rester en poste au-delà de la fin de son mandat, le 2 avril, ce qui ajoute une nouvelle inconnue à la situation politique actuelle.